Les lunatiques sont aussi des hommes

Article : Les lunatiques sont aussi des hommes
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10 mars 2017

Les lunatiques sont aussi des hommes

Il y’a quelques jours, en rentrant de mon travail, après une journée éreintante et accablée par la chaleur de ces dernières heures, j’étais presque dans un état second. Mais je fus soudain, réveillée par un spectacle déconcertant : un lunatique[i] qui passait son chemin, exposant à la vue de tous, ses bijoux de famille. Ce n’était évidemment pas le premier que mes yeux croisaient, de toute ma vie de trentenaire.

Ce qui faisait l’objet de mon choc et de mon inanition, ce lunatique avait un air de famille et il portait une belle chemise carrelée de couleur bleue. La chemise était propre, très propre pour son état. Cela prouve à tout point de vue que c’était un récent locataire des rues de Lomé. Il avait une apparence physique assez robuste, était peut-être dans la quarantaine.

Crédit Photo : Pixabay.com

En une fraction de secondes, quantité de questions se sont entrechoquées dans ma cervelle : cet homme c’était sûrement un mari, un frère, un père, un ami, un ex-collègue de travail… Où pouvait-être sa famille ? Que s’est-il passé pour qu’il en arrive là ?

Une de mes connaissances, à l’imagination assez fertile, ne cesse de me rebattre les oreilles avec sa thèse du « complot » : tous les  lunatiques de Lomé n’en sont pas de vrais. Certains font partie d’un large réseau d’espionnage à la solde de l’agence étatique des renseignements. Ils infiltrent la population pour tester son pouls et être au fait de tout. Pour un pays en mal de probité moral, rien n’est à écarter. Mais passons…

Dans nos sociétés africaines, en l’occurrence à Lomé, d’après les renseignements glanés de-ci de-là, je me rends compte que les lunatiques ne bénéficient d’aucune prise en charge particulière. Ils sont délaissés par leur famille et par l’Etat dont ils sont quand même les pupilles. La preuve : il n’y a qu’un seul hôpital psychiatrique (Hôpital Psychiatrique de Zébé), sur tout le territoire togolais . Ces personnes qui sont des citoyens particuliers sont livrées à eux-mêmes jusqu’à ce que mort s’en suive. Elles sont parfois victimes de crimes rituels, souvent d’accident de la circulation ou de mort naturelle. C’est au terme de ce parcours chaotique que l’Etat par le biais des services sociaux, s’occupe au moins de leur offrir une sépulture en les enterrant sans tambour ni trompette.

Avec la crise socio-politique qui frappe de plein fouet, notre quotidien, la société est victime d’une « rigidité cadavérique » qui attaque non seulement notre corps mais aussi notre intellect, notre moi profond… Nous sommes devenus apathiques, insensibles, embarqués dans notre train-train à la recherche de notre pitance. Tel des zombies sociaux, chacun cherche à se frayer un chemin vers une lumière blafarde. Une illusion de vie, un semblant de prise de tête avec nos vicissitudes. Engoncés dans notre nombrilisme offusquant, peu d’entre nous peuvent encore faire montre de résilience. Nous sommes devenus plus narcissiques que tout, l’autre au lieu d’être un miroir s’est transformé en vitre : nous le regardons sans le voir.

L’Homme n’a plus de valeur à nos yeux.

[i] Lunatique : je vous épargne le terme  « fou » qui ne me semble pas approprié et préfère ce mot qui est plus un anglicisme.

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Commentaires

Mawulolo
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Miabé Ad'ahouatôwo...
Même les femmes se retrouvaient enceintes plusieurs fois, fallait rajouter
Du chemin de ma maison à mon école primaire à l'époque, on les connait tous par leurs noms et leur emplacement habituel. On anticipait leurs réactions et on savait quand fuir et quand passer à côté pour se moquer et courir vite...

Benedicta honyiglo
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"Même les femmes se retrouvaient enceintes plusieurs fois, fallait rajouter" : Roger, je ne veux surtout pas m'aventurer sur ce chemin que je ne maîtrise pas...Lol. Merci.

Guy Muyembe
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Merci pour cet article Benedicta. Si chez toi on considère les fous comme potentiels agents du renseignements à la solde du gouvernement, chez moi on pense qu'ils sont forcément victimes du mauvais sort (Sorcellerie).

Benedicta honyiglo
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"...chez moi on pense qu’ils sont forcément victimes du mauvais sort (Sorcellerie)" : L'Afrique et ses légendes urbaines.

Fotso Fonkam
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Chez nous il se dit que ce sont des dealers de drogue. Il y en avait un dans le quartier où j'ai grandi, on affirmait qu'il était propriétaire de plusieurs immeubles dans la ville. Bien sur personne n'avait jamais indiqué l'emplacement des fameux immeubles...

Eli
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Ce récit ravive dans mon esprit le souvenir d'un quadragénaire qui vivait dans une maison à deux pas de chez moi dans mon quartier. Deguenillé il se pavanait et m'épouvantait par ses délires violents. Il enseignait avant de sombrer dans la démence. On oublie souvent que ces "fous" ont aussi une vie comme nous.

Benedicta honyiglo
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Nous avons tous eu dans notre environnement et surtout dans notre enfance "un fou" qui nous donnait des sueurs froides et nous causait des cauchemards. Enfant, dans mon quartier, je me rappelle un professeur de philosophie qui est devenu dément. Il avait une grosse sacoche remplie de ses cours, hélait les passants et les forçait à écouter ses cours. C'était une vrai terreur pour moi !!!