Mystère sur mes origines
Je me réveille encore, tout en sueur, avec ce rêve constant qui tourmente mes nuits : une belle jeune dame s’avance vers moi, une forme diaphane. Puis, au moment où je crois reconnaître un visage, une grosse main surgit de nulle part et me saisit le cou. A ce moment, comme pour toutes les nuits, je sursaute. Cela fait déjà douze bons mois que je suis à la quête de la vérité. Je jette un coup d’œil à mon réveil de chevet : il est 2 h 10.
Fils unique, dès mon adolescence, j’ai su que je n’avais aucun lien biologique avec M. et Mme Dansou, mes parents adoptifs. Physiquement, nos ressemblances étaient plus que discutables. Ce n’étaient ni mes cheveux trop raides et encore moins mon teint trop clair qui le démentiraient. Quant à la taille, mon père était bien plus proche d’un Omar Bongo que mes 1m90 ne me rapprochaient d’un Abdou Diouf. Malgré ces différences physiques notables, ils n’ont pas dérogé à leur rôle de parents aimants et protecteurs.
Sortir de mon lit et aller prendre un verre d’eau. En ce moment précis, c’était tout ce qui pouvait me calmer.
En empruntant le long couloir principal de la maison qui conduisait vers la cuisine, située à l’autre bout de la maison, je sentais cette odeur de produits d’entretien. La même senteur que dans mon rêve, un peu tenace, d’abord incrustée dans ma tête de toute évidence, elle s’est ensuite invitée dans mes rêves. Cette fragrance ne quitte presque jamais la maison après le passage de Davi, notre employée de maison, depuis 15 ans.

Davi, pour moi, était une seconde maman. Elle prenait si bien soin de moi et j’aimais particulièrement sa cuisine, surtout ses gâteaux qu’elle me faisait manger à chaque petit-déjeuner. N’habitant pas trop loin de nous, elle quittait notre domicile dès que son service se terminait. Elle a perdu son mari voici une vingtaine d’années et n’a plus voulu se remarier. Davi s’est alors consacrée corps et âme au couple Dansou et à leur fils, c’est-à-dire, moi. Elle disait que nous étions sa deuxième famille.
Les carreaux sont froids sous mes pieds, j’ai encore oublié de mettre mes claquettes. Juste boire et retourner dans mon lit, en espérant pouvoir me rendormir. Un trait de lumière s’échappe de dessous la porte du bureau de Papa. Davi a dû, certainement oublier d’éteindre, après le ménage.
Hier après-midi, c’était la fête. Le 30e anniversaire de mariage de mes parents. Les amis, la famille et les collègues, tous étaient présents. Enfin, mes parents avaient leur lune de miel. D’après ce que Papa m’a dit, un ami de longue date qu’il avait tiré d’une mauvaise passe leur a offert le périple de leur rêve. Une lune de miel, qu’ils n’avaient pu s’offrir, à l’époque. Un voyage de deux semaines sur les îles Hawaï. Beau et adorable ! Cela m’avait quand même intrigué, c’était une petite fortune, ce voyage de noces. J’espère que Papa me donnera plus de détails à leur retour, j’étais curieux de savoir qui était ce mécène.
Après les festivités, je les accompagnais à l’aéroport. Tout cela me fatigua. D’ailleurs, je dois me rappeler de ranger les derniers dossiers que mon père m’a confiés : faire le tri, vérifier et ranger tout cela avant leur retour. Comme mon père, je suis comptable.
Continuer aussi mes recherches sur mon adoption. Je sais qu’elle est plénière[1], c’est tout. Les quelques indices fournis par mes parents ne m’ont guère avancé. Sans plus d’informations sur la vérité de ma naissance, je me sens paumé. Je nage dans le vide, dans l’obscurité, un néant insoluble, mais je n’y renonce pas.
J’imagine les remarques de ma mère, si elle avait vu cette ampoule non éteinte dans le bureau de papa. Maman est très méticuleuse sur les questions d’écologie et autres économies d’énergie. Papa lui, reflète plutôt la rigueur et la discipline. Pour lui, je soupçonnais une déformation professionnelle.
J’ouvre la porte et je me rappelle qu’il représente toute l’autorité de mon père : M. Dansou. Une porte en bois peinte en noire, avec une poignée ronde. Je n’y entrais qu’à très peu d’occasions : la veille des rentrées scolaires et universitaires pour recevoir les conseils de papa par exemple. Ou le jour où nous avions discuté des recherches sur mon adoption.
J’ai d’abord fait le tour de toutes les agences d’adoption de ma ville : je me suis retrouvé face à l’absence d’organisation de nos services administratifs. Pas d’archives en tant que tel. Ils sont toujours restés à l’époque de Mathusalem. Aucun système informatisé pour garder toute cette documentation. Déçu, je l’étais, bien évidemment.
J’ai même fait appel à une agence de détective. Un ancien policier qui s’est mis à son compte. Un visage, aux yeux chafouins, un nez retroussé et un menton fuyant, c’était Monsieur Georges. Son chapeau feutre, toujours fixé sur la tête et sa cigarette au coin de la bouche, on le croirait sorti tout droit d’un film des années 1950. Il me faisait surtout penser au lieutenant Columbo. Sous ce feutre se cachait des cheveux courts poivre et sel. Il ne manquait que le trench-coat kaki pour que le profil soit complet. Crédule, j’ai cru qu’il était l’homme à la hauteur de l’énigme (sur mes origines ?). Il pouvait tout résoudre, ressassait-il à nos nombreux rendez-vous.
Très vite, il s’est révélé être un imposteur. J’ai dû aller porter plainte contre lui. Malheureusement, il a disparu des radars. Ce fut la deuxième déception.
Puis ce fut le tour des mairies et des états-civils. Puis des cliniques, dans un cercle circonscrit à mon lieu de naissance. J’ai interrogé des sages-femmes, des infirmières. J’ai été confronté à une pléiade d’êtres humains, tous plus fourbes les uns que les autres. Des employés pas toujours conscients de ce qu’on attendait d’eux. Et toujours glisser des pourboires à n’en point finir. Pour finalement aboutir à pas grand-chose.
Il y a eu également cette dame qui s’était fait passer pour ma mère biologique. Je ne sais pas comment elle s’y était prise pour fabriquer des documents, semblant tellement plus vrais que nature. En l’espace d’un instant, j’y avais cru. C’est au moment d’entamer la vérification par les tests ADN que la bonne dame a fui. J’ai pensé à un réseau de faussaires en documents administratifs, avec la complicité des employés de la mairie. Ils voulaient uniquement profiter de moi. Je tombais de Charybde en Scylla. Mes émotions étaient en montagnes russes. Je n’ai plus eu le courage de porter plainte. Ça me faisait finalement beaucoup de choses à gérer.

Sur le bureau, je remarque un tas de documents dans des chemises et des enveloppes en papier kraft : mes dossiers. En voulant les ranger, je fais tomber une liasse par terre. Je contourne alors le bureau et me baisse pour les ramasser. Mon regard est attiré par une corde avec un anneau qui pendouille du côté interne du meuble. Ma curiosité supplante ma soif.
Je tire sur la corde. Elle se casse net. En me baissant, je remarque, une petite encoche au-dessus du petit trou d’où sort la cordelette. Je retourne sur mes pas pour chercher un outil qui pourrait m’aider à ouvrir cette cavité surprise.
Je vais à la cuisine pour chercher un couteau. J’étancherai ma soif plus tard.
J’agrandis l’ouverture au-dessous du trou avec le couteau, pour y glisser un ou peut-être deux doigts. Cette image me fait sourire.
Je pense à Evelyne, ma copine. Non, mon ex-copine. Elle aimait bien ce jeu de mots. « Glisse ton doigt ! Glisse ton doigt ! » Je ne sais pas pourquoi je pense à elle, en ce moment. Cela faisait déjà quelques mois que nous n’étions plus ensemble. Mon obsession pour connaître mes origines m’a fait changer de priorités. Notre relation en a pris un coup.
Je me rappelle de notre première rencontre. Evelyne semblait perdue dans ses pensées ce jour-là, devant l’arrêt de bus. Elle n’a pas du tout fait attention en traversant et j’ai failli la renverser. Je suis un adepte de la vitesse et ma moto Trail Kawasaki était bien à mon image. Au dernier moment, où j’ai failli la toucher, elle a fait un mouvement brusque qui l’a projetée en arrière, puis elle est tombée par terre. Plus de peur que de mal. Je l’ai alors ramené chez elle. Puis je suis revenu tous les jours d’après, pour avoir de ses nouvelles. Ce fut le début de notre histoire.
Qu’est-ce qui m’avait attiré chez elle ? Je ne sais pas, peut-être ce parfum de miel vanille émanant de ses cheveux. Cela m’a fait penser aux délicieux gâteaux de Davi. Ma madeleine de Proust en plus vivant. J’ai senti ce doux parfum quand je me suis penché sur elle pour la relever, le jour de l’accident.
C’était une jeune fille à l’air romantique mais qui était un vrai volcan au lit. Pour elle, le sexe avait une place essentielle dans notre relation. Je pense à ses courbes généreuses, qui étaient toujours une invitation tentante, prélude à nos ébats épicés. Sa langue chaleureuse connaissait chaque morceau de ma peau. Sa poitrine était la source d’eau fraîche qui apaisait mes pensées au retour de mes longues journées. Je ne résistais jamais bien longtemps à la chaleur de son corps. Nos deux chairs se connaissaient tellement, nous n’avions pas besoin de beaucoup de mots. Ces moments de douce félicité étaient le prélude à l’explosion d’une infinité d’énergies enfouies sous nos corps en chaleur. Une danse qui se répète depuis des générations. Une mélodie sans fin qui se refait éternellement.
Notre rupture s’est faite sans bruit. Mais moi, cela m’avait quand même fait un choc. Ce qui a justifié mon retour chez mes parents. Nous avions emménagé ensemble. Un soir du retour d’une de mes quêtes, j’ai trouvé une lettre sur mon lit :
« Dodzi, malgré ma grande passion pour toi.
Je ne puis rivaliser avec cette quête.
Elle plane sur nous, lugubre.
Tes origines me font de l’ombre
À chaque départ, je me sens fébrile
À t’attendre, haletante, pour espérer toujours et toujours, une bonne nouvelle
Qui tarde de plus en plus à venir.
Je te libère, de mon emprise.
Tu sais que mon cœur est tien, mais mon corps
Incapable de supporter tes absences.
Ne pense plus à nous, pense à toi. »
Evelyne
Malgré, la peine que je pouvais imaginer être la sienne, son romantisme gardait de toute sa superbe, cette lettre d’adieu tout en poésie. C’était bien elle. Evelyne….
J’enfonce mon couteau avec rage dans ce bois rugueux. Je penserai à la manière de boucher ce trou plus tard. J’ai accès à un espace sous le bureau, j’y plonge ma main droite. Je sors un rouleau de papiers jaunis, ficelé avec une corde en chanvre. Une odeur âcre de vieux papiers m’attrape à la gorge. Une fine couche de poussière se dépose sur mes doigts.
Je romps la corde déjà en piteux état, le titre plaqué en grands caractères sur la première page m’intrigue.
C’est un document final sur des recherches scientifiques dans une université occidentale européenne. J’ai de nouveau soif. Je tire la chaise en bois du bureau de mon père et m’assois pour lire.
Au bout d’une heure de lecture, je suis surpris puis effondré : toute ma vie n’est qu’un tissu de mensonges. Je suis enragé. J’ai envie de tout casser. Je vais appeler mon père. Je me rappelle qu’à cette heure, ils devraient être quelque part dans un aéroport ou dans les airs. Mon cœur bat si fort. J’étouffe, je retourne à la cuisine. Je dois boire.
Aurais-je le courage et la patience d’attendre leur coup de fil ? Je passe par toute sorte de sentiments. Ce document, c’est toute ma vie. Les mots résonnent dans ma tête : test, laboratoire, embryon, cellule, ADN… Et ce contrat, avec ce montant faramineux.
Il était écrit qu’il pouvait être touché à partir de la vingt huitième année d’existence, si le prototype n’avait subi aucun dommage physique et ne montrait aucune atteinte psychologique grave. Et pour que les conditions soient totalement remplies, on y sous-entend pour finir que l’autre partie ne doit pas faire défection avant ladite échéance. Je fais tout de suite le rapprochement avec la petite fortune. Celle qui finance en ce moment l’escapade fastueuse du couple.
Je saisis un verre dans l’armoire au-dessus de l’évier, j’ouvre le robinet. Perdu dans mes pensées, je ne vois pas l’eau déborder du verre et couler sur mes doigts. Malgré la fraîcheur de la nuit, de la sueur perle sur mon front. Mes doigts tremblent. J’ai la gorge douloureusement nouée et ma bouche est amèrement sèche. Toute ma bouche est sèche. J’y porte le verre, d’un geste mécanique. L’eau fraîche dégouline dans ma gorge. Non ! De l’amertume remplit mon être en entier. Devant moi, Je vois ma vie se dérouler en kaléidoscope.
Toute cette absence d’informations sur ma naissance s’explique soudainement. Je n’ai pas un parent, je n’en ai pas deux, j’en ai plusieurs. Non, en fait, je n’en ai tout simplement pas. Point !

Je suis le produit d’une manipulation génétique effarante. Cela dépasse tout entendement : je suis le fruit d’une étrange incantation de formules scientifiques, de plusieurs combinaisons d’ADN. Je ne suis donc que le fruit de plusieurs années de recherche ? Ne suis-je que ça ? Dans un excès de colère, je brise le verre contre le mur de la cuisine. Comme ma famille, il vient de voler en éclats ! Je suis un prototype créé, oui, créé depuis 28 années : je suis un clone ou un clown, peut-être.
Un rire cynique m’envahit : la vérité, c’est que ce que je suis, je n’en sais toujours rien !
[1]
[1] Adoption plénière : En France, l’adoption plénière est une forme d’adoption qui, à l’opposé de l’adoption simple, rompt tout lien de filiation et tout contact entre l’enfant et ses parents de naissance. Elle est irrévocable, soumise à conditions, et doit faire l’objet d’un jugement. Une fois celui-ci prononcé, l’enfant dispose d’un nouvel état civil.
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