Interdits alimentaires : dis-moi ce que tu ne manges pas, je te dirai qui tu es
Lomé, Marché de Totsi, 11h45, le soleil est au zénith.
La mésaventure de Kokouvi
La classe est finie, les enfants rejoignent leur domicile.
Kokouvi(1), 9 ans, est inscrit à l’école primaire catholique de l’église Saint-Esprit de Totsi. Quelques centaines de pas et il rejoint sa mère au marché. Elle est revendeuse de légumes : tomates, piments, oignons, etc.
Habituellement, à la sortie des classes, il passe sa pause de midi avec sa mère. Il reprend à 14h30, après sa sieste et une rapide toilette. Mais avant, pour son déjeuner, il achète un repas auprès des revendeuses de nourriture du marché.
Ce jour-là, sa mère lui remet 500 F CFA pour acheter de l’akoumè (pâte de maïs fermentée ou non) et de la sauce tomate avec du kanlanmi (poisson frit), pour elle et Kokouvi.
Kokouvi, à son arrivée, apprend qu’il n’y a plus de sauce tomate. Il achète donc sa pâte de maïs. Il choisit alors d’y ajouter du fetridessi (sauce de gombo), avec un morceau de poisson fumé et du aglan (crabe). Le crabe est un aliment auquel il a toujours voulu goûter, mais que sa mère ne le préparait jamais à la maison. Il ramène le repas et le montre à sa mère avant de commencer à manger.
A peine il ouvre le bol que sa mère s’écrit :
« Eboboboéééé ! Deviya ola woum maaaa ? » (Cet enfant veut-t-il me tuer ?)
Elle renverse aussitôt le contenu du bol par terre. Ses voisines commerçantes la regardent d’un air effrayé. Elles pensent toutes à cet instant que Kokouvinon devenait folle.
« Kokouvinon(2), que se passe-t-il ? » lui demandèrent les personnes autour d’elle.
Les badauds commencent déjà à se rassembler. Les questions fusent de partout. L’enfant étonné a déjà les larmes aux yeux. Kokouvi parcourt la scène d’un regard qui va de sa mère au bol, puis du bol au contenu versé par terre.
Kokouvinon, connue pour son caractère bien trempé, est une dame qui ne se laisse pas faire. Dans la quarantaine, avec une forte corpulence, les cheveux coupés courts, elle inspire le respect.
Personne n’ose s’approcher d’elle. Et de toutes les façons, les curieux savent déjà qu’elle ne répondrait à aucune de leurs questions. Sa jeune sœur Da Yawa, qui est aussi revendeuse dans le marché, est appelée à la rescousse. Elle accourt aussitôt, pour voir ce qui se passait.
Une vingtaine de minutes plus tard, le calme revint. Kokouvinon est obligée de fournir un autre repas à son fils, qui troublé, avait perdu l’appétit.
« Ma sœur, depuis le mariage avec le père de Kokouvi, il y a certaines de mes habitudes alimentaires qui ont changé. Je fais désormais attention à tout ce que je prépare et fais à manger à ma famille. Il y a 8 ans, lorsque j’avais commencé à préparer des repas solides à Kokouvi après son sevrage, j’avais préparé du crabe avec adémè (corette potagère). Je ne savais pas que c’était une nourriture interdite aux membres de la tribu de mon mari. Le jour-là, j’ai eu la peur de ma vie. Mon fils a failli mourir. Aussitôt que sa bouche toucha le repas, il commença à se gratter, et des boutons lui apparurent sur tout le corps. J’étais dans une grosse panique. Heureusement, par le plus grand des hasards, son père était rentré plus tôt que d’habitude. Il l’a aussitôt amené chez un de ses oncles qui était tradi-thérapeute. Depuis ce jour, j’ai reçu une liste d’aliments interdits à la consommation. »

Cette mésaventure que je viens de vous relater est tirée de faits réels. Pour le cas de Kokouvi, beaucoup ont plutôt pensé à une allergie aux crustacés qui est assez commune. Malheureusement, faire attention aux aliments à ajouter à leurs préparations culinaires est devenu le quotidien de certaines familles.
Les interdits par devoir
Dans mes recherches pour écrire ce billet, plusieurs interdits culinaires m’ont été rapportés. Mais hélas, les raisons qui sous-tendent ces interdits sont perdues dans la nuit des temps.
Ainsi, un ami dont la famille est originaire de la région des plateaux, précisément de la ville de Badou, m’apprend que dans leur tribu, il leur est interdit de consommer une espèce de crabes poilus que l’on retrouve à ces endroits. Le fonio, culture par excellence de cette région, leur est également interdit de consommation. Mon ami me rapporte que mystiquement, les grains de fonio auraient été utilisés comme des billes ou balles pour les armes à feu. D’après ses parents, ce fut au cours des combats contre les multiples ennemis, des fondateurs de leur village. C’est ainsi que les anciens ont laissé comme précepte de ne pas consommer cette céréale qui leur a permis de remporter bien des batailles.
Pour les Bè, tribu fondatrice de la ville de Lomé, l’interdit alimentaire se rapporte plutôt à un animal qui leur a aussi évité un malheur.
Dans leur fuite de la cité de Notsé (ville située à presque 95 km au nord de Lomé) dirigée par le roi Agokoli (qualifiée par certains écrits de monarque sanguinaire) vers des contrées plus clémentes, les Bè issus du peuple ewe, poursuivis par les envoyés du roi, ont vu toutes les traces de leurs pas, effacées par des nuées et des nuées de tourterelles. En effet, les oiseaux vinrent se poser sur leurs pas, on ne sait par quel miracle. La soldatesque envoyée à leurs trousses complètement perdue, ne sachant vers où se diriger, fut obligée de rebrousser chemin. Ainsi, ce groupe de personnes ne dut son salut qu’aux bipèdes à qui, ils vouèrent désormais un culte.

Pour la petite anecdote, moi, je suis ewe mais pas de Bè, et donc dans mon enfance, j’avoue qu’avec des cousins, nous avions mangé ce volatile tué à coup de lance-pierre, à plusieurs reprises… Lol.
Les interdits tribaux
Dame Emefa une autre, citoyenne approchée, originaire à moitié de la région de Défalé au nord Togo, m’apprend : « Dans mon village, il est formellement interdit aux femmes de goûter à la viande de chien, sous peine d’être bannie. Cette viande n’est préparée et mangée que par des hommes au cours de cérémonies initiatiques. Pourtant, elle est devenue un mets prisé à Lomé et consommée par tous. Moi, même de loin, je ne m’y approche pas », conclue-t-elle avec un air respectueux.
Au sud du Togo, une tribu appelé Péda a pour formel interdit de consommer la viande du python royal qu’ils ont pour totem. D’après certains, des scarifications en forme de traits couplés seraient visibles sur la face du serpent. Ainsi donc, toute personne issue de cette tribu reçoit à la naissance 5 couples de scarification de part et d’autres du visage. Ces traits sont communément appelés au Togo, « 2 fois 5 »
Le chat est aussi pour certains impropre à la consommation. Pourtant il est régulièrement l’hôte de certains festins, comme celui dont je parle dans ce billet. Particulièrement sa tête, réputée dotée d’un pouvoir de protection.
Mais le constat est tout autre face au melting pot inhérent à la capitale Lomé. Tous ces préceptes sont désormais de lointaines histoires jamais élucidées, dans la tête des populations originaires de ces milieux. Plusieurs bars arborent fièrement des noms qui invitent à la consommation de ces « viandes dites taboues ».

Et vous, dites-nous en commentaires, quel aliment il vous est interdit de consommer pour des raisons familiales, tribales, ethniques ou par devoir ?
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Kokouvi(1) : nom donné aux garçons nés le mercredi, dans la culture ewe du sud Togo et Ghana.
Kokouvinon(2) : « non » qui signifie « mère » dans la culture ewe du sud Togo et Ghana est un suffixe, parfois ajouté aux prénoms des enfants, surtout les aînés et qui devient presque un nouveau prénom pour les femmes qui deviennent mère au cours de leur vie.
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