Le meunier, le zémidjan et la barmaid
A l’approche de la Saint Valentin, les couples élaborent des projets pour passer de tendres moments. Pour une partie, ces projets se concrétisent par des moments idylliques ; pour d’autres, cela tourne à la construction de châteaux en Espagne.
Jacques, était un joli garçon, avec son teint clair à la « Ibo ». Ce teint obtenu à partir de produits d’origine douteuse, faisait tomber en pâmoison toutes les « gos » du quartier. Il voulait qu’on l’appelle Jack (prononcer à l’anglaise Djack, comme la mâchoire d’un crocodile sur sa proie : Tchak !!), pas Jack l’éventreur, mais Jack le serial-dragueur. Car dragueur, c’était sa deuxième vie. Son vrai métier : meunier en second, dans le moulin de son grand-frère.
Ce poste « avant-gardiste » lui a permis d’établir une solide réputation auprès des dames du quartier. Toutes celles qui venaient moudre leurs grains auprès de lui. Mais pas que : il était aussi le chouchou des vendeuses de boissons locales (tchoukoutou, liha[1]…) et de bouillies, à cinq kilomètres à la ronde autour de son moulin. Un vrai sniper, et des victimes, il en avait déjà fait.
Sa technique : veiller à ce qu’aucune partie de la farine de ses clientes ne se perde dans ce que l’on appelait communément « Motégomewo[2] ». Ce produit, était l’or blanc des apprentis meuniers qui le vendaient à l’insu (du plein gré) de leur patron, aux familles démunies ou aux propriétaires d’animaux domestiques. Ce qui permettait à ses sous-meuniers de se faire un peu de pécule. Vous penseriez que Jack était stupide. Mal vous en prendra !!! Sa « redevance » : à n’importe quel moment de la journée, il bénéficiait des largesses de ses clientes. Ces dernières pour le remercier de prendre si grand soin de leur farine lui amenaient de la bouillie, de la pâte de céréales avec de bonnes sauces ou de la boisson.
Malgré tout ce défilé de femmes et de jeunes filles, Jack n’avait d’yeux que pour une seule : Eyram. Il avait sur elle, des visées expansionnistes, un grand désir de découverte des terres inexplorées. L’ayant su, Eyram, jeune damoiselle au postérieur rebondi, aimait jouer au chat et à la souris avec Jack. Jack le chasseur, à qui aucune proie n’échappe. Le plan échafaudé par Jack, pour achever le gibier devrait être exécuté, ce 14 février.
Eyram, barmaid, vivait dans une chambre de location avec sa sœur. Mais ce que Jack ne savait pas, Eyram faisait déjà les yeux doux au fils du propriétaire de la maison (de location) Etienne, alias Fo Ti, zémidjan de profession, la trentaine et bien baraqué. Elle jouait sur les deux tableaux. Elle savait qu’à coup sûr, l’un des deux appâts mordrait, mais son préféré était Fo Ti. Jack ne serait là que pour arrondir les bords et les fins de mois. Pour ajouter du sel à sa sauce, elle avait concocté un plan quasi-machiavélique sur les conseils de ses comparses de travail.
Le soir, du 14 février arriva donc : effrontée qu’elle était et usant de tout son charme, elle réussit à entraîner ses deux amoureux dans le même bar, celui où elle servait. L’endroit était bondé, elle les installa à des tables assez éloignées. Eyram faisait de tout de son mieux pour les servir : ce soir elle avait le don d’ubiquité.
Les deux amoureux, patientaient et se disaient chacun dans son coin, qu’au terme de son service, Eyram rentrerait avec lui. La dulcinée avait déjà fait son choix. Elle allait mettre son plan machiavélique à exécution : mettre une dose de soporifique dans la boisson de Jack et passer la soirée avec Fo Ti. Malheureusement pour elle, c’était sans compter sur Dame Chance qui était du côté de Jack.
Le verre drogué fut bien servi et Eyram, sûre de son coup quitta Jack pour servir d’autres tables. Au moment où Jack allait boire son verre, un client trop pressé le heurta. Le contenu du verre se renversa. Alléluia, Dieu prend toujours soin des siens !!!! Il s’occupa juste à remplir de nouveau son verre et dégusta sa bière.
De temps en temps, Eyram venait jeter un coup d’œil pour voir si le produit dont on lui avait tant vanté les mérites faisait son effet. Elle constata malgré elle, que Jack était toujours « kankpé[3] ». Malheureusement pour elle ou heureusement pour Jack, elle n’avait plus de dose de secours.
L’heure de fermeture du bar, approchait et elle devait honorer ses engagements. Elle commençait sérieusement à se faire du mouron.
Fo Ti, quand à lui rongeait son frein (ou autre chose…) et se faisait déjà un film sur la soirée paradisiaque qu’il allait passer dans son lit avec Eyram. Il se leva donc pour voir où en était sa Valentine lorsqu’il la vit en pleine altercation avec un client. Il s’approcha et demanda la cause de la dispute.
- Monsieur, veuillez ne pas vous en mêler, c’est une dispute entre amoureux, lui répondit Jack. C’est ma copine, elle a presque fini son service et elle refuse qu’on rentre ensemble.
Le temps qu’Eyram réponde, Fo Ti, s’enflamma :
- Quoi ? Qu’est-ce que j’entends là ? Votre copine, excusez-moi mon jeune homme, vous vous trompez sûrement. Eyram, explique-lui…
Eyram commença par bégayer :
- Bébé, c’est que… euh… c’est le euh….
Elle n’eut pas le temps de finir, Fo Ti lui administra une gifle magistrale : Kpan !!! Les yeux de Eyram, faillirent lui sortir de ses orbites. Jack, qui voyait son fruit défendu, altéré, saisit sa bouteille de bière et la cassa sur la tête de Fo Ti. Des clients qui voulurent intervenir en eurent pour leur compte. S’en suivit une empoignade générale, digne des films de gangsters.
Le propriétaire du bar fut obligé d’appeler la police, quand il vit ses installations, fruit d’années de labeur fondre comme glace au soleil : les chaises et les tables en plastiques qui volaient au-dessus de la tête des clients tel des drones, des verres et des bouteilles cassés, utilisés comme arme blanche.
Fut embarqué au poste de commissariat le plus proche : les amoureux transis, la jeune fille écervelée et ceux qui se mêlèrent de près ou de loin à la rixe. Cette soirée de la Saint Valentin, qui avait si bien commencé et augurait tant de bonnes choses s’acheva malheureusement derrière les verrous.
« Ô femme que ne feraient les hommes pour te plaire » Anonyme.
[1] Tchoukoutou, liha : boissons obtenues à partir de céréales fermentées ou germées
[2] Motégomewo : farine de basse qualité, provenant des restes ramassés de part et d’autre du moulin
[3] Kankpé : bien en forme, droit sur ses pieds
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